Risques Psycho-Sociaux : vous avez dit « Bore Out » ? (I)

On connait depuis longtemps hélas les souffrances de l’absence de travail. Celles de l’angoisse du lendemain, de la hante d’être assisté, des affres aussi du lent glissement vers la désocialisation. On sait les regards qui en disent long sur son inactivité sociale, le conjoint qui peut-être se lève lui tous les jours pour aller travailler alors qu’on s’efforce de se lever avec lui pour ne pas perdre le contact, les enfants qui travaillent à leur manière en allant à l’école, sachant leur père ou leur mère à la maison et désœuvré. On connait le désespoir de la succession des réponses négatives aux demandes d’emploi, et pire celle des absences de réponses. Et  au bout la perte lente de l’estime de soi, les risques permanents de la renonciation, de l’isolement, des compensations morbides comme les addictions, ou de la dépression sous ses formes diverses.
On connait aussi les souffrances du « surtravail ». Celles du quotidien des charges excessives, mentales ou nerveuses, des exigences de cadence ou de délai impossibles à tenir, de l’appel continu à toujours « prendre sur soi ». Celles des conditions de travail insupportables, d’un environnement de travail dégradant ou tendu en permanence, des ordres contradictoires, de collègues qui vous harcèlent, de l’absence permanente de reconnaissance, du manque d’initiative comme de perspectives d’évolution, de l’angoisse de la fin de contrat. Et au bout la perte de ressources et d’énergie, la dégradation de la santé physique et/ou psychique, le risque de l’incapacité de travail, et celui de la maladie qui même qualifiée de « professionnelle » reste la maladie. On connaissait moins la souffrance du travail absurde. De l’étymologie ab- sans, et surdus-sourd (=sourd au sens commun, qui a donné aussi « sordide » ou « abasourdi »). Le travail qui ne se réfère pas au sens commun habituel  créé aussi ses ravages, le plus souvent à bas bruit. Ce que les américains ont appelé le « bore out » (syndrome de l’ennui, à ne pas confondre avec la notion voisine de « brown-out » qui qualifie la situation du travailleur qui « ne se retrouve plus » dans le travail qu’il accomplit) affecte le travailleur en possession de ses moyens, embauché régulièrement, mais qui se voit privé d’un travail cohérent, « mis au placard de son activité normale » en quelque sorte. On trouve ici un travail réduit en volume (par exemple lorsqu’une journée de travail se résume à 1/2h d’activité réelle) et/ou en nature (par exemple lorsqu’un fonctionnaire de collectivité se retrouve à véhiculer les enfants du secrétaire général ou réparer la cafetière de l’élu). La situation est parfois aggravée par un environnement qui ne retient de cette vacance d’activité que le bénéfice apparent de l’oisiveté. En profondeur, la déprivation du travail affecte la personne qui se retrouve privée d’une chose bien plus grave : sa propre stabilité psychologique, à laquelle participe le travail. Et au bout le risque de la dégradation de l’image de soi, de la disqualification construite par le travail empêché, de l’évitement de la situation par l’acte manqué, de la fuite par la somatisation, de la lente descente dépressive.
(a suivre)

Jean-Philippe TOUTUT

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