LES 6 PRE-REQUIS DE LA QVCT

Lorsqu’on connait l’intérêt d’une démarche « QVCT » et ce qu’elle apporte de progrès concerté pour le collectif, l’ambiance et la qualité des prestations, on a plutôt tendance à avoir envie de la mettre en œuvre sans trop se poser de questions. Et pourtant, l’enthousiasme ne doit pas l’emporter sur la raison, quand on voit tellement de démarches qui n’aboutissent pas aux résultats escomptés, ou qui se perdent dans les sables de réunions interminables et d’effets sans cesse reportés.

L’accompagnement de nombreuses démarches d’établissements nous a amené à aborder avec prudence l’engagement systémique que représente la QVCT. Nous pouvons aujourd’hui distinguer 6 conditions internes, dont l’examen préalable semble indispensable à une QVCT réussie.

1- La « Légitimité »

Ce principe peut se formuler ainsi :
« Relevant de la stratégie interne, la démarche ne peut pas se déployer sans l’accord tracé de la gouvernance (CA, Président, bureau etc…), ni en désaccord avec les autorités institutionnelles (DIRECCTE, ARS, CD etc..) ».


Dans bien des situations, un directeur, convaincu du bien-fondé de la démarche, parfois avec le soutien des syndicats ou du CSE, lance son établissement dans la QVCT sans s’assurer de l’accord de la gouvernance. Le risque existe d’une dissonance ou d’un malentendu ravageur. Car il ne faut jamais oublier que les « gouvernants », administrateurs, associés.., sont les vrais « patrons » de la structure, les seuls à définir les grands axes stratégiques internes et externes, le directeur étant le premier des professionnels en charge de les appliquer.

2 – L’ « Adhésion »  

Ce principe peut se formuler ainsi :
« Relevant de la négociation sociale, les partenaires sociaux, syndicats-IRP et direction-management chacun de leur côté, doivent être en accord minimum avec les principes de la démarche ».

Ne perdons jamais de vue que l’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013, tout comme celui du 9 décembre 2020,  ont été le fruit d’une négociation soutenue entre les principaux représentants des dirigeants et les syndicats représentatifs des salariés.

Managers et représentants de proximité constituent ce que j’appelle souvent des « couples infernaux » dans le sens où ils sont obligés de s’entendre pour porter le processus et le garder constructif.
Au départ de l’action, il va donc être primordial que chacun d’entre eux, managers de leur côté et représentants du leur, soient informés des enjeux de la démarche, et soient bien en accord avec les principes de la QVCT -même si chacun conserve ses orientations stratégiques.
Il ne s’agit pas dans cette condition préalable que les partenaires soient d’accord sur tout dès le départ de l’opération, ni même que les relations sociales aient toujours été ou soient au beau fixe. Un tel schéma est bien rare, et pour tout dire pourrait être assez suspect à certains égards.  Très souvent les partenaires de la démarche QVCT arrivent au débat avec des idées derrière la tête, en pensant faire tourner la situation à leur avantage, faire évoluer les choses dans le sens de leurs objectifs. Mais comme dirait Yves CLOT, « ce n’est pas grave » !

Parfois le principe d’une démarche reste subordonné et suspendu à une (in)formation complémentaire sur la QVCT -ce qui parait tout-à-fait recevable à ce stade.

3 – La « Communication »

Ce principe peut se formuler ainsi :
« Les partenaires sociaux, et à moindre importance les personnels, doivent être en mesure de se parler, d’échanger, et au moins sincèrementdisposés à le faire.».

La démarche d’amélioration de la QVCT suppose une élaboration constructive de décisions prises en commun entre les partenaires sociaux, généralement au sein d’un groupe de projet, et en concertation avec l’ensemble du personnel.
La condition « sine qua non » de départ est donc que les partenaires managériaux et sociaux de la démarche puissent être d’accord au départ pour se parler, qu’ils acceptent de se confronter mais aussi de s’écouter, dans la recherche de consensus. Un Comité de Pilotage QVCT va les aider dans cet objectif, mais une position de principe ouverte est indispensable et requise de part et d’autre.

Les rapports interpersonnels, qui doivent être au minimum respectueux de part et d’autre, permettant suffisamment à la communication de s’établir.

Il est ainsi difficile d’engager une démarche d’amélioration concertée de la QVCT si la structure rencontre une grave difficulté de communication interne. Par exemple si les personnels ont été échaudés par tout un historique au cours duquel leur parole n’a pas été prise en compte, n’a pas eu d’effet, voire s’est retournée contre eux, ils peuvent se montrer réticent à participer à une nouvelle démarche qui sollicite leur avis et leur engagement.
Le texte de l’ANI 2013, dans son Préambule, indique bien que la démarche doit s’effectuer dans des conditions minimes de confiance et être élargie au plus grand nombre.

4 – La « Santé » 

Ce principe peut s’énoncer ainsi :
« Les personnels ne doivent pas se trouver dans une trop prégnante souffrance au travail (pas de RPS majeurs, de deuil en cours etc..), ni les structures fonctionnelles dans un trop grand délitement (pas de carence de manager, pas sous injonction administrative etc…) »

Dans cette quatrième condition préalable, nous prenons le terme de santé dans un sens très général. Nous souhaitons ainsi qualifier à la fois la santé physique mentale et sociale des salariés, et la santé de l’organisation et de l’entreprise.
Le principe de la « santé » des salariés concerne leur état physique, psychosocial, et leur vécu au travail au moment où la démarche QVCT va s’engager. Le principe de « santé » de l’organisation concerne l’état des structures internes et leur degré de stabilité au moment où la démarche QVCT va s’engager.
Une des conditions préalables importantes au lancement du projet QVCT va ainsi résider dans le fait qu’un état individuel et institutionnel trop dégradé ne vienne pas obérer le sens et l’efficacité de la démarche.

5 – La « Fluidité »

Ce principe peut s’énoncer ainsi :
« La structure doit pouvoir faire circuler suffisamment l’information, les points de blocage individuels ou structurels ne doivent pas être trop importants ».


La QVCT a pour objectif de faire avancer l’ensemble du système, ce qui suppose un changement de posture chez tous les acteurs de l’entreprise. Il en va ainsi bien sûr :
-de ceux qui disposent de privilèges, qu’ils sont prêts à défendre par tous les moyens, et notamment par le blocage insidieux du processus sitôt qu’il pourrait les menacer ;
-de ceux qui ne disposent pas d’avantages matériels particuliers, mais qui ont établi leurs propres organisations de travail d’une façon qui leur convient, et qui peuvent craindre avec la QVCT, et parfois à juste titre, une forme quelconque de déstabilisation psychosociale.

Dans l’organisation complexe d’une institution, certains postes se situent plus que d’autres à des passages clés du fonctionnement ou de la production. Il ne s’agit pas forcément de postes d’encadrement ou de responsabilité technique, mais de postes déterminants aux endroits de régulation, de contrôle, de communication, de validation de clientèle…

Dans un certain nombre de cas, des comportement humains peuvent paralyser toute une gestion de projet. La vigilance à porter à cet égard est telle que la condition de fluidité figure comme l’une des conditions majeures de la réussite de la démarche QVCT, et l’un des points essentiels à surveiller et valider (ou corriger) avant son lancement.

6 – La « Stabilité »

Ce principe peut s’exprimer ainsi :
« La structure ne doit pas être en train de rencontrer des changements stratégiques majeurs (fusion, suppression ou absorption de services, restructuration etc..) ».

Il peut être surprenant de voir posée comme condition préalable à la QVCT le principe de stabilité de la structure, alors même que l’un des objectifs premiers de la QVCT est justement de modifier l’organisation pour l’améliorer. L’ ANI du 19 juin 2013 précise même dès le 4ème paragraphe de son préambule que la démarche QVCT est indiquée « … d’autant plus quand les organisations se transforment. ».

Il faut juste préciser ce qu’on entend par transformation organisationnelle !

Lorsqu’un établissement ou une structure gestionnaire affronte des situations vitales pour son avenir, l’organisation est davantage aux prises avec les circonstances de sa relation à son environnement que disposée à étudier les améliorations internes de son organisation.
Cette circonstance peut provenir de son développement (fusion-acquisition, diversification de services, plan d’embauches, déménagement dans des locaux plus importants etc.. ) ou au contraire de sa contraction (absorption, abandon de services, réduction d’effectif, plan de sauvegarde etc…). Il ne va de même dans les cas de carence de poste clé ou encore d’injonction administrative.
Le cas est différent s’il s’agit de transformations organisationnelles qui ne mettent pas en jeu les structures vitales ou qui n’engagent pas les fondamentaux de l’organisation. Lors de changements intrasystémiques mesurés, on peut dire que les anciennes habitudes de travail sont provisoirement allégées, et qu’une disponibilité nouvelle peut être sollicitée chez les salariés.
 Ces 6 conditions (détaillées dans notre livre « La QVT », Séli Arslan, 2021, page 83 et s.) seraient selon nous à examiner systématiquement avant d’engager une démarche d’amélioration de la Qualité de Vie et des Conditions de Travail. Un regard externe peut aussi aider à éclaircir la situation. Deux aspects sont à garder à l’esprit :
-toutes les conditions énumérées ne sont jamais totalement remplies dans une organisation de travail par définition toujours mouvante, mais il suffit qu’elles le soient suffisamment, de façon à ne pas entraver la dynamique de la QVCT ;
-si l’une de ces conditions parait trop peu remplie, ou si un doute subsiste, il est beaucoup plus prudent de consolider d’abord les fondamentaux institutionnels nécessaires, afin qu’ensuite la démarche QVCT soit rapide et efficace. Par exemple, une démarche de prévention des risques psychosociaux, ou bien encore de médiation sociale, peut être appropriée, afin de préparer le terrain de l’amélioration de la Qualité de Vie au Travail.

Jean-Philippe TOUTUT
Dr en psychologie sociale, consultant ESSMS,
Directeur du DU « QVT » à l’Université de Toulouse II
www.cabinet-jpt.com

Auteur de : « La QVT, une démarche pour le secteur social, médico-social et sanitaire », éd. Séli Arsman, Paris, 2021

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