Le point sur « la santé au travail »
La récente nomination du déjà secrétaire d’Etat chargé de la réforme des retraites Laurent PIETRASZEWSKI auprès du Ministre du Travail, avec la charge de « la protection de la santé des salariés contre l’épidémie de Covid-19 », montre que l’on s’interroge au plus haut niveau de l’Etat sur les conditions de la « santé au travail ».
Au moment où l’on se préoccupe (légitimement) de préserver les salariés de toute contamination par le virus pandémique, il nous semble opportun de rappeler quelques fondamentaux sur la « santé au travail ». Et de souligner que la notion n’a cessé de s’élargir depuis son apparition, évoluant de la seule prévention physique à la prise en compte du rôle de l’organisation et de la « qualité de vie au travail » dans l’équilibre général des salariés.
A l’origine la « santé au travail » était un thème soutenu par des préoccupations économiques. Après-guerre, en 1947, l’Institut National de Sécurité (devenu depuis Institut National de Recherches et de Sécurité) avait pour objectif la prévention des problèmes de santé, et son corolaire : la diminution de l’absentéisme et des maladies professionnelles. La préoccupation portait alors en majorité sur les problèmes de santé physique. La question des troubles mentaux, l’implication du management, et surtout la mise en cause de l’organisation viendront plus tard, progressivement, en partie sous l’effet de la jurisprudence.
En matière de santé au travail, on est ainsi passé, au fil de l’histoire (voir en cela LAGESSE et LEFEBVRE, 2013), de la protection physique au travail à la protection mentale, d’une logique visant à normaliser à une logique visant à prévenir, et d’une logique de prévention centrée sur les risques psychosociaux à une logique d’anticipation centrée sur le développement de la qualité de vie au travail.
En particulier, une évolution significative a été apportée par les deux organisations internationales les plus concernées par ces questions : l’Organisation Mondiale de La Santé (OMS) , et l’Organisation Internationale du Travail (OIT) :
-l’OMS a engagé de longue date cette évolution, en développant une réflexion tendant à considérer la santé sous un angle plus global que les affections corporelles, et dans une conception pas seulement limitée à l’appréhension des symptômes ou de leur expression dans le champ social.
Le préambule de sa Constitution, entrée en vigueur le 7 avril 1948, stipule ainsi, dans son premier paragraphe que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »
-l’OIT a par la suite, bien que plus tardivement en 1981, apporté une confirmation à cette approche, en donnant la définition suivante : « le terme « santé », en relation avec le travail, ne vise pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité; il inclut aussi les éléments physiques et mentaux affectant la santé directement liés à la sécurité et à l’hygiène du travail. » (Convention 155 de l’Organisation Internationale du Travail).
Les deux organismes enfin, réunis autour d’un Comité mixte OMS-OIT, en 1995, ont
ensemble défini ainsi la Santé au travail : « La santé au travail s’articule autour de trois objectifs distincts : (1) préservation et promotion de la santé du travailleur et de sa capacité de travail; (2) amélioration du milieu de travail et du travail, qui doivent être rendus favorables à la sécurité et la santé, et (3) élaboration d’une organisation et d’une culture du travail qui développent la santé et la sécurité au travail. Cette culture s’exprime, en pratique, dans les systèmes de gestion, la politique en matière de gestion du personnel, les principes de participation, les politiques de formation, et la gestion de la qualité. »
Cette dernière approche, légitimée au plus haut niveau institutionnel, confirme les définitions précédentes, en leur donnant une perspective à la fois de principe et d’action.
Nous les résumerons en 6 points :
1-la santé est affaire de prévention : on peut / on doit construire les conditions de la santé avant l’apparition des troubles,
2-la santé est affaire de promotion : on peut / on doit avoir une attitude et une politique pro-actives en matière de santé au travail,
3-la capacité de travail est affaire de santé : le travailleur n’est pas neutre ou passif dans sa santé, ne serait-ce qu’en exploitant ses marges d’autonomie dans les décisions le concernant ou de contrôle sur ses tâches,
4-le milieu de travail est concerné par la santé : le système global est le lieu de la construction de la santé,
5-l’organisation du travail est concernée par la santé : le travail, le rapport au travail, et ce qu’en fait le système de travail, concourent à définir la santé au travail,
6-la culture du travail est concernée : la santé au travail relève d’une approche systémique traitant à la fois les objectifs du management, la gestion des ressources humaines, la politique et le style de direction, les politiques de développement des compétences, et l’approche de la qualité dans l’entreprise.
Jean-Philippe TOUTUT
Docteur en psychologie du travail, Maitre en droit,
Enseignant Université de Toulouse Jean Jaurès,
Consultant et formateurRPS-QVT
jean-philippe.toutut@univ-tlse2.fr
Auteur notamment de :
-« La nouvelle QVT », sous presse
-« Manager l’éthique », éd. Séli Arslan, 2018
-« La Qualité de Vie au Travail, ce que c’est, ce que ce n’est pas », in Revue de l’ACTIF N°418, oct-déc 2016
-« La QVT, une expérience », Revue Des Conditions de Travail, éd. ANACT, 2017
-« Organisation, management, éthique », éd. L’Harmattan, 2010