EDITORIAL printemps-été 2025
Les liens étroits entre éthique et sens au travail
De nombreux impératifs contradictoires marquent la vie de l’entreprise aujourd’hui : court terme – vision, urgence – attention, profit-partage, régulation-liberté etc… Les horizons et les contraintes se resserrent pour tout le monde, sur fond de craintes, de conflits, d’appauvrissement. Les conflits éthiques se multiplient, entre ce que l’on pense devoir faire et ce qu’on nous demande de faire.
Le domaine du travail aurait bien besoin aujourd’hui d’un nouveau souffle. Qu’est-ce qui permettrait à chacun d’aller à son travail avec davantage d’énergie, là où on ne parle que de charge ? de déployer de la créativité, quand on est confronté aux exigences croissantes de productivité et de marge ? de se sentir bien au travail, quand tout semble se résoudre par la pression et le rapport de force ?
Sur un certain plan, il faudra certainement restaurer à un moment le politique sur l’économique, les valeurs sur la recherche effrénée du profit, l’intérêt général sur les intérêts particuliers. Si tout le monde doit participer à un effort collectif, celui-ci ne doit pas être seulement budgétaire mais aussi sociétal ; si référendum il y a, il doit porter sur notre projet global de vie ensemble et pas sur des aspects partiels marqués par l’opportunisme politique.
En attendant ces choix collectifs, qui devraient être portés par autant de « conventions citoyennes » qu’il y a de composantes sociales, et relayées par un corps politique digne de la haute mission qui est la sienne, que peut-on avoir comme « utopie réaliste » dans l’entreprise ?
L’une des clés majeures, nous semble-t-il, consiste à attacher une plus grande importance à la question du sens au travail. Quel est l’état de l’esprit de celui qui travaille ? La construction de véritables significations à l’activité professionnelle, nous parait à chaque jour plus centrale dans nos organisations. Ceci d’autant plus que le sens du travail prolonge dans l’entreprise la question existentielle de la raison d’être.
Comment l’entreprise, dont la vie dépend des biens et services produits, peut-elle être un lieu de fabrication de sens ? comment faire sens au travail ? nous répondons en invitant les organisations de travail à favoriser, au sein même de leurs processus de fabrication, des questionnements par lesquels les professionnels se définissent en interaction avec leurs environnements de travail. Le sens au travail est un construit, en élaboration continue. C’est assurément en impliquant les salariés dans leur organisation, pas sur des sujets secondaires mais bien dans ses valeurs et ses fondements, que ceux-ci construisent les motifs de leur implication. L’éthique pour nous n’a pas besoin de beaucoup plus de définition : lorsque le questionnement est possible et favorisé, alors les réponses peuvent apparaître et jouer leur rôle salutaire.
L’acteur pouvant s’interroger tout en faisant, les dispositifs d’appui à la réflexion n’ont pas besoin de prendre beaucoup de temps, surtout lorsque les ressources sont limitées et les délais raccourcis. De même les conditions du travail, sur lesquels il faut en permanence se pencher, n’ont qu’un effet indirect sur l’élaboration intérieure lorsqu’elle est permise. Ethique et sens sont peu corrélées aux conditions de travail et aux dispositifs de réflexion ; cependant ils le sont beaucoup plus avec le style de management et avec la culture propre à l’entreprise. Une forme d’éducation interne, jadis porté par le chef d’entreprise, aujourd’hui par tous les acteurs de l’organisation, apparaît indispensable.
Par l’éthique, le sens se construit. Ce sera l’objet d’un intéressant débat au sein des Journées des cadres du secteur social à Saint-Malo le 12 juin prochain, auquel nous apportons une contribution. Ce sera également l’objet d’une publication à paraître dans les prochains mois.
Jean-Philippe Toutut, mai 2025