LA QVCT, ENTRE RPS ET RSE
Aujourd’hui nous réfléchissons sur la nature et les relations entre trois acronymes barbares : RPS, QV(C)T, et RSE. Nous allons défendre l’idée que les trois notions se prolongent l’une de l’autre, traçant comme un plan d’évolution du dispositif organisationnel.
La QVT est la « Qualité de Vie au Travail » ; la QVCT, apparue avec la Loi Santé au Travail d’août 2021, est la « Qualité de Vie et des Conditions de Travail », très proche de la QVT (avec en plus les préoccupations de la santé au travail). Pour notre propos ici, nous emploierons indifféremment l’un ou l’autre terme.
Les RPS sont les « Risques Psycho Sociaux » ; on dit parfois PRPS, pour « Prévention des Risques PsychoSociaux » pour en spécifier la démarche.
La RSE est la « Responsabilité Sociétale d’Entreprise » ; certains parlent indifféremment de « Responsabilité Sociale d’entreprise », ou de « Responsabilité Sociale d’Organisation »..
Les terminologies sont assez connues, depuis plusieurs années (bien que peut-être subsistent quelques confusions sur le terme « Social » ou « Sociétal » du 3ème domaine, nous verrons ce point un peu plus bas), mais ce qu’ils recouvrent chacun, et surtout la nature de leurs relations sont-ils vraiment identifiés ? c’est l’objectif de ce texte que de donner un peu de lumière à la distinction de chacun des trois termes, tout autant qu’aux relations que d’après nous ils entretiennent étroitement.
Nous poserons d’abord la question de l’origine de ces trois notions, et de leur datation successive.
Bien que nous situions résolument la démarche QVCT comme devant être postérieure à la démarche de prévention des PRS, et antérieure à la démarche RSE, les préoccupations que recouvrent les trois domaines sont largement dispersées dans le temps et l’espace.
On retrouve par exemple dans les traités de management des Sumériens, 4500 ans avant notre ère, l’idée selon laquelle « il est bon de satisfaire le travailleur si l’on veut qu’il fasse du bon travail », idée que l’on peut rapporter plus ou moins à la QVCT. Chez les égyptiens bâtisseurs de pyramides, on devait prendre garde à suffisamment bien soigner les esclaves, pour qu’il n’en meure pas trop d’un seul coup et qu’on ait le temps de s’approvisionner en matière humaine : peut-on parler ici de prévention de la santé des travailleurs ? Quant aux préoccupations liées au développement durable, on en trouve des traces de façon très ancienne, liées par exemple à l’économie du bois pour les crémations en Inde, ou l’utilisation des énergies solaires chez les Incas.
Plus proche de nous, on donnera les repères suivants :
- la « QVCT » a été dénommée comme telle, et a vraiment pris son essor dans les années 50, au Tavistock Institute de Londres, sous la plume de deux chercheurs Éric Trist et Fred Emery. La notion s’est ensuite bien développée aux USA, en Asie et en Europe du Nord, mais elle n’a pas vraiment émergé en France avant les années 2000-2010 ; c’est surtout à partir de 2013 qu’elle a pris son essor, et elle connait aujourd’hui une croissance forte, surtout dans le domaine sanitaire et social ;
- les « RPS » ont été approfondis surtout à la fin des trente glorieuses, alors que tout le monde industriel cherchait un second souffle et des nouveaux gains de productivité, en faisant des économies dans le domaine des ressources humaines (lutte contre l’absentéisme, le turn over, les accidents du travail..). Ce n’est qu’en 1998 toutefois que l’Organisation Mondiale de la Santé dénommera clairement « RPS » un certain nombre de phénomènes touchant la santé des travailleurs, et devant faire l’objet de plans de prévention. La réglementation, les usages, les impulsions syndicales, les réalités médiatisées des « souffrances au travail », donnent aux démarches PRPS aujourd’hui une mise en lumière assez constante ;
- -la « RSE » a vu le jour dans les années 50-60 aux Etats-Unis (on cite souvent les auteurs H.Bowen et G.Goyder..), autour de préoccupations d’abord centrées sur le développement durable et les énergies renouvelables. Les ONG, mais aussi les gouvernements s’emparent progressivement de cette préoccupation, comme lors des accords Grenelle II en 2010, mais ce ne sont jamais que des incitations, des recommandations ou des observations (comme l’Observatoire de l’ANAP en 2017). L’intérêt pour la RSE est croissant, mais ses partisans déplorent une croissance aussi lente que l’encadrement des pratiques liées à l’environnement. Le concept lui se déploie, et notamment il s’est étendu de la préoccupation « sociale » à la dimension « sociétale », qui l’inclue.
Nous ajouterons maintenant que dans notre approche théorique, aussi bien que dans notre expérience de consultant, les trois démarches doivent être parfaitement distinguées, et parfaitement successives :
- on ne peut pas faire de QVCT si on a trop de RPS ; la raison en est simple : « on ne peut pas marcher le nez vers le ciel quand on a un caillou dans son soulier ». Il convient donc dans une entreprise de commencer à soigner les souffrances majeures, s’assurer de la santé globale des salariés, de l’absence de risques voire même de dangers, avant de se tourner vers l’avenir et l’amélioration des organisations.
- on peut difficilement faire de la RSE si on n’a pas fait de QVCT : en effet, la préoccupation liée à l’amélioration du bien-être des salariés et de la performance de l’organisation est une des composantes majeures de la responsabilité sociétale de l’entreprise, avec le souci du développement durable et de l’empreinte positive au sein de son environnement. Mais à elle seule, la démarche QVCT est relativement complète, totalement systémique, et selon les textes, elle constitue « le premier pas d’une responsabilité sociétale assumée ».
- on ne peut pas faire de RPS, QVCT et RSE ensemble : les trois notions sont également trois démarches conçues en « mode projet », qui concernent l’ensemble de l’entreprise, et mettent en jeu des ressorts fondamentaux du fonctionnement. Les enjeux sont d’ordre social, technique, politique, les ingénieries de projet sont bien construites, les déroulements dans le temps sont relativement balisés, les objectifs et les méthodes bien distincts. Il est donc fortement conseillé de ne pas embrouiller le personnel dans des démarches simultanées, parfois un peu chronophages, mais de repérer les temps logiques de l’entreprise, et d’opérer avec méthode.
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Pour résumer notre propos :
- Risques Psycho Sociaux : naissance années 75 (appellation OMS en 1998), impulsion France années 2000, croissance linéaire ;
- Qualité de Vie (et des Conditions de) au Travail : naissance et appellation années 50, impulsion France années 2010-2013-2020, croissance forte
- Responsabilité Sociétale d’Entreprise : naissance années 50-60, appellation et impulsion France 2010-2017, croissance lente.
- On ne peut pas faire de QVCT si on a trop de RPS, on peut difficilement faire de la RSE si on n’a pas fait de QVCT, on ne peut pas faire de RPS, QVCT et RSE ensemble.
Pour aller plus loin : « La QVT », Jean-Philippe TOUTUT, éd. Séli Arslan, 2021
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