Qualité de Vie au Travail (QVT) et Démocratie Participative : enjeux et méthodes pour accompagner la transformation sociétale (II)
Pour mener une démarche visant à améliorer la QVT, il existe différentes stratégies. Celle qui nous intéresse en particulier est la « stratégie de l’engagement », qui se caractérise par une forte recherche d’innovation sociale, un dialogue social développé, une implication accrue du personnel et une proximité avec le travail réel. Cette stratégie se traduit notamment par l’organisation d’espaces de discussion sur le travail (EDD) à différentes étapes du processus et vise à ce que la question de la QVT intègre tous les projets d’organisation. Dans ce cadre, le personnel a la possibilité d’infléchir les prises de décisions mais doit aussi s’impliquer et s’engager plus que dans d’autres stratégies.
En ce qui concerne la démocratie participative, il existe également différentes formes de concertations décrites notamment par Grégoire Milot[1]. Nous retrouvons des modalités communes au concept de QVT dans la concertation dite « d’engagement » qui se caractérise par un engagement fort dans la concertation et les procédures participatives de la part d’élus ou de collectivités. Sur des grands projets ou sujets de politique générale, les élus intègrent systématiquement une phase de concertation avec les administrés par le biais d’un dialogue participatif.
Très proche, il y a également la concertation dite « de construction » qui repose sur la volonté d’un élu d’associer la population à la construction de son projet, le faire évoluer sous certains aspects ou améliorer des points précis. Ainsi, des structures telles que des comités de quartiers ou des conseils citoyens émergent pour accompagner ce nouveau mode de concertation.
Des fonds dédiés peuvent être créés par les collectivités pour identifier les projets de démocratie participative (budget fléché) ou soutenir leur mise en place. Sur ce dernier point, il est à noter l’initiative positive du Conseil Départemental de la Haute-Garonne qui a créé en 2017 un fonds de soutien à la démocratie participative pour accompagner les projets des communes de moins de 5000 habitants ou des associations du territoire[2]. L’expérience a été reconduite en 2018 et 2019.
Comme pour la QVT, l’idéal est d’intégrer différentes stratégies – pour les combiner et en tirer le meilleur – afin de favoriser l’épanouissement du concept de démocratie participative.
- La méthodologie QVT au service de la démocratie participative
Une stratégie est nécessaire pour accompagner une démarche QVT ou de démocratie participative mais une méthodologie rigoureuse est également primordiale pour mener à bien son projet. Ainsi, nous avons identifié trois grandes phases au sein du Cabinet JPT Consultants:
- L’ingénierie stratégique (engagement stratégique, politique et technique) ;
- Le diagnostic technique préalable (préparation, fabrication et réalisation) ;
- La réalisation participative des actions (exploitation du diagnostic, écriture du plan d’actions QVT et mise en œuvre).
Cette méthodologie s’adapte tout à fait au processus de démocratie participative :
- L’ingénierie stratégique :
La démocratie participative est souvent proposée par des élus désireux de maintenir un lien étroit avec les administrés durant leur mandat mais peut aussi émaner directement de la volonté des citoyens. Il est donc nécessaire de structurer le dialogue dans le cadre de groupes de travail participatifs, de conseils citoyens ou de comités de quartiers. Comme pour la QVT, il n’y a pas « une bonne solution » duplicable partout mais une solution qui correspond aux caractéristiques de la commune (taille, attentes particulières, contexte social, etc).
Dans tous les cas, il faudra favoriser des groupes représentatifs des habitants de la commune ou créer des thématiques de travail. Le volontariat est bien sûr de mise et les groupes de travail devront être constitués, outre un ou deux élus référents, d’une quinzaine d’administrés maximum pour favoriser le dialogue et les échanges constructifs. Il sera important de communiquer dès cette étape pour susciter l’intérêt des habitants.
Pour structurer cette étape, une charte du dialogue citoyen pourra être co-rédigée. Cette charte a le même objectif qu’un accord de méthode QVT, c’est-à-dire « fixer les règles du jeu » et les conditions dans lesquelles le dialogue citoyen se tiendra.
- Le diagnostic technique préalable :
L’élaboration du diagnostic dans une commune consiste tout d’abord à établir le périmètre dans lequel la démocratie participative s’exprimera. C’est ici que les limites d’actions et d’interventions seront posées.
Ensuite, nous pourrons analyser des données ou des indicateurs statistiques existants dans le périmètre ou en créer des pertinents avec les membres du groupe. Il existe un « Réseau des Indicateurs Sociaux Départementaux[3] », piloté par la DREES (rattachée au Ministère des Solidarités et de la Santé), qui pourra permettre par exemple de récupérer des données comparatives.
Un questionnaire sur la qualité de vie sur la commune pourra aussi être co-élaboré pour alimenter les débats et travailler à des pistes d’actions favorables émanant des citoyens. Cet outil est le pendant du questionnaire QVT.
A cette étape, la commune peut aussi directement proposer des sujets de travaux et les modalités de mise en œuvre des actions. Les participants peuvent aussi faire remonter leurs attentes particulières.
- La réalisation participative des actions :
Avec tous les éléments issus du diagnostic, un plan d’actions pourra alors être réalisé et communiqué à la population. Comme pour la QVT, il faudra prioriser les actions à l’aide de fiches actions descriptives et précises (quoi ? qui ? où ? quand ? comment ? pourquoi ? modalités d’évaluation ?) et désigner des référents pour faciliter la réalisation et le suivi.
La mise en œuvre du plan d’actions et des projets décidés précédemment peut susciter l’innovation comme pour la QVT. Cette innovation peut déjà résider dans l’implication accrue des citoyens pour mettre en commun les compétences, les talents et les énergies de chacun au service de la collectivité.
Il pourra aussi être intéressant d’expérimenter la mise en place d’un Indicateur Social Communal (ISC). Co-créé dans le cadre d’un groupe de travail dédié, il regroupera des indicateurs statistiques et un questionnaire qualité de vie pour orienter la mise en œuvre de projets ou d’investissements d’une Mairie. In fine, l’ISC pourra être un outil d’aide à la décision pour le Conseil municipal ou la collectivité territoriale.
Enfin, le suivi et l’évaluation des actions sera réalisé tout au long du processus et fera l’objet en moyenne d’une réunion par semestre où un état des lieux des actions en cours et à venir sera partagé. Le principe d’un questionnaire sur la qualité de vie annuel à destination des administrés pourra être acté pour servir de baromètre social dans la commune et pour mettre à jour l’ISC.
Une communication systématique sur les évolutions des travaux et des réflexions des groupes est également à mettre en place (bulletin communal, site internet, presse locale…)
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Il est assez frappant de retrouver tant de similitudes dans les processus de QVT et de démocratie participative. L’intuition nous laisse entrevoir qu’elles correspondent à de nouvelles attentes particulières – exprimées tant par les salariés d’une entreprise que par les administrés d’une commune – qui incarnent un changement de paradigme.
Sommes-nous à l’aube de l’apparition de nouvelles institutions sociales qui permettront à chacune et chacun qui le souhaitent de s’exprimer et de s’impliquer encore plus dans l’organisation de leur entreprise ou de leur commune ?
Cette forme de mutation sociale doit être accompagnée par les institutions et les pouvoirs publics pour lui permettre de s’exprimer pleinement dans un cadre défini. C’est pour cette raison qu’une stratégie et une méthode sont nécessaires. Dans le cas contraire, ce sont des artefacts qui apparaîtrons et qui détourneront les concepts de leurs sens et enjeux profonds comme la transformation de la relation au travail, aux institutions et aux autres ou encore la capacité à s’engager et à agir pour améliorer son quotidien professionnel ou personnel.
Dans cet esprit, il paraît également important de développer les initiatives de soutien financier aux actions de démocratie participative comme aux démarches de Qualité de Vie au Travail. Créer des dotations spéciales pour accompagner les communes qui ont élaboré des projets participatifs, conditionner l’attribution de fonds ou de dispositifs financiers d’allègements de charges (tel que le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi[4]) à la mise en place d’une démarche QVT dans une entreprise, sont autant de pistes à explorer par les pouvoirs publics et les décideurs pour soutenir ces initiatives porteuses de progrès social.
Nous l’avons vu, la qualité de vie au travail c’est avant tout un processus social qui s’inscrit dans un concept beaucoup plus large et qui touche tous les domaines de « la qualité de vie ».
C’est autour de cette dimension que pouvons aisément établir des liens étroits entre QVT et démocratie participative et voir qu’une méthodologie QVT rigoureuse pourrait servir le déploiement de démarches participatives auprès des administrés des communes.
D’un côté comme de l’autre, meilleure est la qualité du débat, plus légitimes et efficaces sont les décisions qui en découlent que cela soit dans le monde du travail ou dans une commune. Les liens qui unissent les démarches QVT et de démocratie participative sont nombreux et s’enracinent souvent dans la volonté pour de plus en plus de personnes de voir émerger un avenir résolument tourné vers l’humain, un avenir où le travail s’adaptera naturellement à l’homme, où les performances économiques ne seront pas les seuls critères orientant les politiques publiques, où la subjectivité sera valorisée et reconnue comme un élément déterminant à part entière.
Revitaliser le dialogue social ou « démocratiser la démocratie » sont des enjeux communs aux démarches QVT et de démocratie participative. Elles incitent les institutions ou les organes délibérants, parfois trop technocratiques et poussiéreux dans leur fonctionnement, à évoluer en se tournant vers ceux qui composent leurs entités et co-construire à leurs côtés.
Elles incarnent un nouveau paradigme et préfigurent probablement l’émergence de nouvelles formes de concertations sociales, de gouvernances d’entreprises, voire de nouveaux liens entre la société civile et les institutions de la République.
L’élan a été donné, la dynamique est impulsée et ne fera que s’amplifier. Il appartient désormais à chacune et chacun d’entre nous de s’emparer du sujet pour le faire sien. Ainsi, nous pourrons modestement contribuer à la construction d’un modèle de société empreint « d’humanisme économique et social ».
[1] « Construire une ville participative en 10 questions », Grégoire Milot, Editions Territorial, 2012
[2] Démocratie participative au Conseil Départemental de la Haute-Garonne: https://www.haute-garonne.fr/actualites/le-departement-soutient-des-projets-de-democratie-participative-sur-le-territoire
[3] Les indicateurs sociaux départementaux: http://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/open-data/aide-et-action-sociale/article/les-indicateurs-sociaux-departementaux
[4] Définition du CICE: https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F31326