EDITORIAL AVRIL 2020
Le COVID 19 s’inscrit maintenant dans notre réalité quotidienne.
Parmi les nombreux impacts sociaux produits par le virus, directement ou par voie de conséquence, le domaine du travail est l’un de ceux qui se voient le plus touché. Comme dans toute crise, et celle que nous vivons est majeure, le bouleversement amène son lot de nouvelles contraintes et de nouvelles ressources. Les contraintes les plus immédiatement visibles concernent l’espace du travail, puisque la majorité des sites (bureaux, lieux d’exercice..) ne sont plus accessibles, et le temps du travail, puisque la plupart des horaires anciens (pour ceux qui travaillent encore sur site comme pour ceux qui sont en télétravail) sont modifiés. Il faut ajouter à ces constats d’autres observations plus fines : en effet c’est un rapport plus profond au travail qui est maintenant interrogé. Plusieurs autres réalités du travail sont en jeu actuellement :
-les comportements habituels au travail, dans tous les cas de figure, se voient modifiés : les travailleurs, salariés comme employeurs, ne mettent plus en œuvre leur travail de la même façon. Les modalités opératoires de l’activité, les contextes relationnels, se voient aménagés en fonction des réalités sanitaires et de l’actualité.
-en émergence spectaculaire, un facteur, qui a toujours existé de façon plus cachée apparait aujourd’hui majeur dans l’appréhension du travail : le « sens pour-soi » de l’activité professionnelle, mis en balance avec la sécurité personnelle.
Au chapitre des ressources, on observera que la crise actuelle vient questionner en profondeur la structure psychosociale du travail et de l’entreprise, dans des registres plus essentiels que toutes les formes de stratégies organisationnelles et de gestions de projets globaux dans l’entreprise (démarche qualité, projets d’entreprise, modernités du management, etc…) déployées jusque-là. Elle vient en effet éveiller l’attention des travailleurs sur l’importance relative du travail dans leur vie, sur leur position de sujet responsable et acteur dans et de l’organisation, sur les limites -en restriction ou en dépassement- de leur investissement dans le travail. Dans une certaine mesure, le virus dans sa gravité situe le champ des préoccupations sociales dans un registre plus global et plus élevé que chacune de ses composantes. Dans le domaine de vie qui nous occupe ici, il vient contribuer à une réappropriation du travail par le travailleur, il amorce une forme dialectique de (re)prise de souveraineté sur sa condition, il donne tout son poids et sa légitimité au rapport entre travailleur et travail au sein de l’organisation.
Envisagée sous l’angle de sa dynamique sociale dans le travail, la crise sanitaire que nous vivons permet une forme de dérégulation des systèmes de pensées et de comportement au travail, et favoriser l’apparition de nouvelles relations d’interdépendance et d’autonomie chez les acteurs sociaux. Un tel processus de création de sens au travail par les travailleurs va incontestablement dans la même direction idéologique que tout le « mouvement » d’amélioration de la « qualité de vie au travail » engagé depuis une dizaine d’années. Pour le moment, en plein milieu de la crise, la profondeur de son impact et la durabilité de son inscription dans le monde du travail restent encore des inconnues.
Jean-Philippe Toutur – Avril 2020