CORONAVIRUS ET INTEGRATION (I)
Cet été, profitons du soleil et des congés, mais prenons garde au virus et observons les « gestes barrières ». Ce conseil, répété sur les ondes et dans les médias, pourrait paraître lancinant mais il est justifié aux yeux de tous comme une pédagogie indispensable. Pourtant, au risque de choquer, je voudrais apporter un commentaire critique à cette injonction un tant soit peu « hygiéniste » (tendance renforcée d’ailleurs par les applications de suivi des personnes ayant été en contact avec la COVID).
Que devons-nous combattre ? nous sommes certes confrontés à un virus inconnu qui s’attaque à nos organismes physiques. Plus en profondeur, conséquence de la crise sanitaire, ce virus s’attaque aussi aux structures de nos organisations, menaçant tous les grands équilibres sociaux et économiques que nous avons bâti pendant des siècles. A y regarder d’encore plus près, ce virus a aussi des conséquences dans nos comportements et dans nos pensées, touchant la sphère mentale et le domaine émotionnel. Il fait perdre pied, perdre patience, perdre notre calme, et aussi perdre notre humour.
En combattant le virus, il faut aussi penser à combattre ce qu’il génère en nous de déséquilibre psychologique et social, qui peut avoir des conséquences graves et durables sur l’humain individuel et sur le collectif. Ultimement, le virus agit comme un réflecteur de nos êtres, il interroge les postures de nos égos, et l’état de nos esprits. Donc, virus sanitaire certes, mais virus mental aussi, dont les symptômes sont parfois moins visibles mais les effets plus dangereux.
Comment devons-nous combattre ? certes les gestes barrières sont maintes fois préconisés. Réalisons bien ici que cette stratégie est purement défensive, elle consiste à créer suffisamment de distance entre le virus et nous pour qu’il ne puisse plus nous faire de mal. L’image est facilement transposable au plan psychologique : lorsqu’un sujet met en place des « systèmes de défense », il tente de créer une distance entre le symptôme ou le danger et l’équilibre de sa personne. L’analogie se poursuit au plan collectif : lorsqu’on bâtit des murs entre des populations, on vise à se protéger de l’autre, à repousser l’objet de crainte ou le porteur fantasmatique de tous nos maux.
Or qu’est-ce que l’histoire nous apprend de ces stratégies « barrières » ? tout simplement qu’elles ne réussissent pas. Elles parviennent au mieux à contenir un certain temps le mal, l’autre, l’étranger, au prix de beaucoup d’énergie, mais elles n’offrent aucune solution sur le long terme. Les « gestes barrière » s’apparentent à la construction de ces murs que l’on bâtit au bord des frontières psychiques ou matérielles ; on y voit l’idée un peu puérile que tant qu’on repousse on est protégé, autre version de la stratégie de l’autruche : tant qu’on ne voit pas, cela n’existe pas. Des milliers de migrants sont parqués au bord des frontières en attendant que l’Europe décide d’être quelque chose ; dans ces camps des centaines d’humains tentent de survivre, tandis que d’autres trouvent toujours le moyen de se faufiler dans les barbelés. En son temps, aucune frontière n’a arrêté le nuage de Tchernobyl, comme aucun sac de sable ne peut contenir les inondations ou les flots déchainés ; à terme les murs tombent, les barrières s’écroulent.
Nous assistons à des formes de sophistication des systèmes de protection, des « sur-barrières » en quelque sorte, comme ces surenchères dans la recherche de médicaments ou de vaccins car il y a beaucoup d’argent à la clé. Mais quelles que soient leur apparence, les « barrières » nous apparaissent des modalités dégradées de refus d’affronter le destin ; ce sont des pratiques à observer tant qu’on n’a pas d’autre force immédiatement disponible, mais elles ne peuvent pas être considérées comme des solutions, ce sont seulement des expédients.
Face aux « gestes barrières », qui construisent des murs face aux réalités nouvelles, ne faudrait-il pas développer des « gestes d’ouverture », pour construire des ponts entre l’ancien et le nouveau ? plutôt que de consacrer d’énormes ressources, énergies ou budgets, à la défense et à la « barrière », si nous investissions davantage de réflexion et d’efforts dans la poursuite d’objectifs d’ouverture et d’intégration ? Cela se traduirait, devant ce nouveau coronavirus par une nouvelle impulsion données aux ressources immunitaires de notre corps, par l’adaptation de notre écosystème environnemental, par l’acceptation de la différence en acceptant de nous transformer nous-même. Pourquoi certains humains, certaines peuplades, sont-ils plus insensibles que d’autres aux effets néfastes du virus, sans aucun rapport avec les gestes ou stratégies « barrières » ? probablement parce qu’ils trouvent en eux-mêmes des ressources, que leurs organismes s’adaptent à la hauteur de ce qui est demandé. Plutôt que de parquer les migrants aux frontières, dans une visée de contention totalement intenable à terme, il est urgent de réfléchir à des formes de partage des ressources, à des modes d’intégration de l’autre, même s’il prend les apparences du danger. Il s’agit bien de travailler à intégrer le nouveau coronavirus, comme il s’agit bien d’intégrer l’étranger ; il ne s’agit pas de succomber, comme il ne s’agit pas de subir passivement ni de renoncer à ce qui a fait notre richesse jusque-là. Il s’agit enfin de comprendre que l’autre, le différent, le menaçant, ne vient là que pour nous inciter à davantage de réflexion, solliciter notre expansion, entrainer notre modification ontogénétique et psychologique.
(a suivre…)
Jean-Philippe TOUTUT, juillet-août 2020