LA QVT « POST-COVID »

Depuis 70 ans, la notion de « Qualité de Vie au Travail » ne s’est guère éloignée de ses fondamentaux. Au-delà des définitions multiples qu’on a tenté de lui donner, des assimilations erronées (aux risques psychosociaux ou à la démarche qualité par exemple..) et des instrumentalisations subies (du côté de l’attractivité des hauts potentiels, ou du réductionnisme hygiéniste par exemple…), le QVT reste quand même accrochée à ses deux piliers : la recherche du bien-être des salariés, et le développement de la performance de l’organisation.
Les premières organisations de travail, les premiers traités de management des Sumériens il y a plus de 4000 ans, se préoccupaient déjà de la coexistence de ces deux problématiques (cf. TOUTUT, 2007), qui se posent dès qu’une activité de travail apparait : comment bien faire le travail tout en prenant soin de soi ? ou proposition inverse et équivalente : comment bien s’occuper de soi tout en faisant du bon travail ?

Cette grande crise sanitaire des années 20 bouleverse un grand nombre de données, remet en question un grand nombre d’acquis réels ou jusque-là supposés. Labourant en profondeur nos organisations comme nos convictions, elle met à jour un grand nombre de besoins dont la satisfaction n’apparait dorénavant plus négociable, et elle laisse entrevoir une somme d’exigences nouvelles auxquelles la société va devoir répondre.
Dans le domaine du travail en particulier, deux grandes thématiques vont questionner nos organisations professionnelles et nos entreprises pour de nombreuses années, et inaugureront certainement des changements porteurs d’évolution ou de révolution : la question du sens, et la question des conditions de travail.

D’une manière générale, ces deux questions se sont toujours posées au travailleur. Le versement du salaire, d’ailleurs le plus souvent jugé pas à la hauteur de son investissement, ne répond que partiellement à des questions de fond, telles que :
-pourquoi travaille-t-il ?
-pourquoi travaille-t-il de cette façon ?
-quelles sont les finalités de ce travail ?
Et tout naturellement le travailleur est amené à mettre en balance les incertitudes ou les défauts de réponses à ces questions, de nature existentielle, avec ce qui constitue son environnement et ses conditions de travail immédiates, de nature matérielle.

La question de cette balance, celle du véritable enrichissement ou alourdissement créé par le travail, peut se poser de manière aigüe, à l’occasion de choix concernant sa situation professionnelle : par exemple lorsqu’un autre type de rémunération peut lui arriver indépendamment d’un travail proprement dit (allocations, trafic, revenu minimum garanti, ressources collaboratives etc..), lorsque son travail est « empêché » pour de multiples raisons, ou bien encore lorsqu’un autre type de travail lui est proposé. Dans la circonstance exceptionnelle que nous vivons / avons vécue, le travail est rendu impossible ou son mode d’exercice encadré par la réglementation, alors que simultanément apparaissent des priorités de survie plus fondamentales mises  en jeu. L’impossibilité de considérer le travail comme on le faisait jusqu’à présent invite en quelque sorte le travailleur à se détacher de sa représentation précédente du travail, afin de le mener autrement, ce qui constitue une double incitation : le considérer d’un autre regard, et considérer autrement l’organisation et les circonstances concrètes de sa mise en oeuvre. La crise vient nous dire avec force et parfois brutalité que la question du sens est au coeur du travail, que selon la réponse donnée les conditions du travail auront un impact sur la conduite. Concrètement, selon les réponses données à ces questions, le travail réalisé sur le terrain bénéficiera de ressources ou pâtira de freins majeurs, dans les deux cas insoupçonnés ou non manifestés jusque-là.

Jean-Philippe TOUTUT, juin 2020

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