LA QVT « POST-COVID » (II)

La crise vient nous dire avec force et parfois brutalité que la question du sens est au cœur du travail, que selon la réponse donnée les conditions du travail auront un impact sur la conduite. Concrètement, selon les réponses données à ces questions, le travail réalisé sur le terrain bénéficiera de ressources ou pâtira de freins majeurs, dans les deux cas insoupçonnés ou non manifestés jusque-là.

Le modèle général de la QVT, à la différence d’un certain nombre de schémas organisationnels ou de théories de l’entreprise, ne s’est pas construit sur un mode scientifique unique. Comme nous l’appréhendons, elle ne constitue pas un ensemble de données fermées, un référentiel notionnel strict ou une méthodologie unique et contraignante. Au contraire, ses présupposés philosophiques et techniques se présentent comme le contraire d’un dogme, dans la mesure où une large part d’appréciation, un grand champ de manœuvre, sont laissés aux opérateurs dans la mise en œuvre de la démarche dans l’entreprise. Basée uniquement sur les deux grands objectifs indiqués plus haut (bien-être et performance), sa doctrine est inspirée du courant organiciste, des théories du changement organisationnel continu (cf. par exemple JP TOUTUT 1993, Michel FOUDRIAT 2013, Trimo RASAMOELY 2015 etc..), et pour beaucoup du constructivisme (Karl WEICK 1995, Jean-Louis LEMOIGNE 2002-2003).
La QVT se veut un accompagnement aux changements devenus nécessaires dans l’entreprise, répondant à l’ensemble des facteurs qui définissent cette nécessité particulière. On mesure ainsi la nature de l’évolution souhaitable à ce qu’on en voit de manifesté dans les actes et les actions concrètes. Et l’évolutivité du programme d’action, comme on l’a vu au chapitre précédent, permet de ne jamais être bien loin des changements sociaux qui se construisent dans les rapports au bien-être et à la performance. La QVT peut par certains côtés illustrer le principe d’HERACLITE d’Ephèse (que rappelle T. RASAMOELY dans son introduction) selon lequel « rien n’est permanent si ce n’est le changement ». Nous aimons rappeler aussi que c’est sur ce principe que se fonde toute l’approche bouddhiste de soi et du monde.  C’est ainsi que la QVT, ancrée dans le changement continu, ne peut pas « ne plus être de mode » ; bien au contraire elle peut, lors des bouleversements importants dus aux crises majeures, que ce soit au sein de l’entreprise ou au sein de la société, constituer un cadre et un socle pour la traduction dans l’organisation de travail des nouvelles exigences sociales.

Les conséquences de la crise sanitaire et sociale liée à la pandémie de 2020 vont être cruciales pour les organisations et pour les hommes. Dans le monde du travail, les impacts vont être immenses, partant des prises de conscience individuelles pour s’étendre aux collectifs de travail, des collectifs de travail pour se déployer sur les organisations. Une dynamique est engagée, que rien ne pourra éteindre, visant à définir de nouveaux rapports au travail, créer de nouveaux environnements, inventer de nouvelles pratiques,  construire de nouvelles conditions de travail.

Face à ces mouvements psychosociaux et sociaux, le pire serait que les organisations restent statiques, dans l’idée de rétablir au plus tôt les fonctionnements anciens. Bien au contraire, les organisations doivent elles-mêmes se réinventer, abandonnant les anciens réflexes et systèmes pour en créer de nouveaux, bon gré mal gré, en vertu d’un principe de « destruction créatrice » (processus simultané de disparition de l’ancien et création du nouveau, dans le secteur de l’économie) que n’aurait pas démenti Joseph SCHUMPETER (1943).

Que l’on pense pouvoir tout reprendre comme avant, ou que l’on veuille révolutionner l’avenir, un certain nombre de changements nous paraissent aujourd’hui inévitables, pour des raisons que nous expliquons ci-dessous. Il faut aux organisations de travail pouvoir déployer des réserves de résilience suffisantes pour adapter leurs structures et leurs fonctionnements sans être débordées ou prises de court par les exigences nouvelles.
Assurément, le modèle de la QVT peut fournir un cadre approprié pour contenir et transformer en potentiel créatif les nouvelles ressources dégagées par la crise, en lui donnant une dimension et une opérationnalité à la hauteur des grands enjeux sociaux à venir.

Jean-Philippe TOUTUT, août 2020

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